HOME > Feature Articles > 【L’esprit des Ryukyu】Édition spéciale 2025 “Hatsugeiko” 初稽古(Entrainement du Nouvel An)

Interview/textes : Daniel Mardon
Photographe/Traductrice : Yuko Takahashi

Daniel Mardon, « Le Karatéka-thérapeute »
Physiothérapeute et pratiquant darts martiaux de longue date, Daniel Sensei vit à Okinawa.   Lune de ses passions est de trouver des Dojo uniques ayant une forte personnalité qui laissera une empreinte à jamais.
Avec son épouse Yuko Takahashi, qui est une grande historienne du Karaté, ils nous permettent de découvrir de nombreux aspects cachés du Karaté d
Okinawa
Cette série darticles propose dexplorer lesprit originel du Karaté.
Aujourd
hui, le sujet est

2025 Hatsugeiko” 初稽古 (Entrainement du Nouvel An)

Chaque année, le Shureikai Minamihara Shureikan organise un entraînement traditionnel en plein air pour célébrer la nouvelle année du karaté.  

Le lieu est toujours ce magnifique château médiéval de Katsuren, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO qui fut construit au 13e siècle. La raison de cette tradition est que l’instructeur en chef du Shureikan, Shimabukuro Tsuneo Hanshi, 10e Dan de karaté/10e Dan de Kobudo/président de plusieurs fédérations, est un descendant de ces plus de 600 ans dépopée guerrière.

Tôt le matin devant Katsuren gusuku.

Moment solennel avant l’entraînement.


Après un bon échauffement, le temps des Kihon.

Importante note concernant la culture japonaise :

Les Japonais modernes célèbrent et apprécient Noël et Halloween comme des événements culturels, mais il y a quelque chose de spécial dans le fait d’accueillir la nouvelle année.
Dans l’ancien Japon, les Japonais considéraient que tout le monde vieillissait en même temps dun an lors du 正月shogatsu (Nouvel An) et non le jour de leur anniversaire !  Le jour de l’An était donc très spécial. 

La croyance est qu’une Divinité (Toshigami-sama) vient le jour de l’An pour donner un nouvel âge, une bonne vitalité ainsi quune bonne fortune de la part de Dieu.

Le Shogatsu (Nouvel An) était donc synonyme de renaissance en tant que nouvelle personne.

En décembre, les Japonais commencent par faire un « grand ménage » pour laver ce qui est sale autour d’eux.  Ensuite, pour le réveillon 大晦日 Oomisoka, ils mangent du toshikoshi soba et accueillent la nouvelle année en famille avec un esprit pur.

Il existe de nombreux mots et événements associés aux débuts de la nouvelle année, tels que 初詣 hatsu-moude (la première visite au sanctuaire de l’année), 初夢 hatsu-yume (le premier rêve), 初日の出 hatsu-hinode (le premier lever de soleil), 初稽古hatsu-geiko (la première pratique), 初釜 hatsu-gama (la première cérémonie du thé du nouvel an) et 書初め kakizome (la première calligraphie).

De nos jours, la façon dont les gens décident de vivre leur vie est différente, mais on a l’impression que l’esprit et les valeurs japonais ont été transmis à travers les âges. Les Japonais chérissent probablement le Shogatsu plus que dans de nombreuses autres cultures pour ces raisons culturelles.

Cela explique pourquoi 初稽古 hatsugeiko (la première pratique de la nouvelle année, ou le premier entraînement) est si important pour les karatékas et leur tradition.

Fabriqué en calcaire massif des Ryukyu, le château a été construit comme un navire de pierre, à 98 mètres au-dessus de l’océan Pacifique, qui baigne les deux côtés de la péninsule. Le fort médiéval fut utilisé jusqu’en 1611, soit 153 ans après la saga du puissant seigneur Amawari, exécuté lors de la destruction de son château en 1458, par l’armée du roi de Shuri; Shō Taikyū (1415-1460).

En fait, le roi était son beau-père puisque Amawari avait épousé sa fille Momoto-Fumiagari.  Le roi Shō Taikyū était le 7e fils du célèbre Shō Hashi ; dernier roi de Chuzan et 1er roi du royaume des Ryukyu.
Shō Hashi est connu comme le fondateur du royaume des Ryukyu.

Les agriculteurs et les pêcheurs sont restés dans la région et ont développé un petit village appelé Haebaru ; juste au pied du château. Shimabukuro Tsuneo Sensei est né en 1945 à Haebaru et sa maison et son Dojo sont toujours situés dans ce village historique. C’est pourquoi le Dojo est souvent appelé « Katsuren Dojo ».

Lien pour en savoir plus sur Shimabukuro Sensei  « HIDEN » 05/2024:
https://budojapan.com/karate/dm13e/

Shimabukuro Sensei et son deuxième fils Takashi en plein cours

Démonstration des enfants

Entraînement au Bo avec l’île Tsuken en arrière-plan.

Pose sous un soleil timide.

Katsuren jo-site Amawari Park Visitor Center

Bien quil soit tôt pour un dimanche matin, des karatékas se rassemblent déjà sur le parking et déambulent autour des constructions flambant neuves abritant un musée et les plus belles toilettes que jai jamais vues

Shimabukuro Sensei est là pour nous accueillir avec sa femme et sa famille. Ses 2 fils Shihan et 6 de ses 13 « Mago » (petits-enfants) participeront à lévénement.
En fait, c
est une réunion très privée et je suis encore une fois le seul « outsider »

Le groupe se dirige vers cette belle colline verte qui mène à la base du château et nous attaquons la montée.  Shimabukuro Sensei et ses fils grimpent dans de petits pick-up 4×4 remplis darmes de Kobudo et de boissons. Un petit train fait la navette en transportant les personnes âgées en haut. 

Les villageois arrivent en nombre, car de nombreux enfants participent.

Je pense souvent à ce que mon ami Tim; un U.S. Marine, ma dit il y a quelques années : « Les habitants dOkinawa ressemblent beaucoup aux Siciliens. Tim est un américano-sicilien de New-York qui a passé les 2/3 de sa vie à Okinawa. Il sait donc de quoi il parle et si je ny voyais pas beaucoup de ressemblance au début, jai découvert que la société dOkinawa a en effet des similitudes avec certains de nos systèmes claniques européens

Après un discours douverture traditionnel rendant hommage aux ancêtres et vœux pour la nouvelle année, Shimabukuro Sensei nous demande de nous aligner, en nous positionnant à bonne distance en rangées parfaites.

Le Maitre fait lui-même la séance déchauffement qui est très minutieuse. Cest particulièrement nécessaire aujourdhui, car le vent de janvier est assez froid même si nous sommes à Okinawa.  Le ciel sera nuageux et venteux pendant la majeure partie de lentraînement, mais aucune pluie nest annoncée.

Les Kihon Uechi-Ryu sont toujours un problème pour moi et je sens que je ne pourrai jamais exécuter correctement leurs Kata

Un grand moment a lieu lorsque Shimabukuro Sensei décide de nous faire une démonstration détaillée de bunkai qui va nous dévoiler des secrets.

Comme je l’ai déjà écrit dans des articles précédents, Shimabukuro Tsuneo Sensei est une personne assez ouverte, mais qui enseigne le vrai Dento Karaté 伝統空手 (Karaté traditionnel).

Avec ce Karaté authentique, les bunkai sont plus difficiles à comprendre, car les techniques sont subtiles et faites à très courte distance par rapport au « World-Karate ». L’idée du Kime (極め) est assez différente (voir dans le lien ci-dessus) et il n’existe pas de pause/pose dans le Dento-Karate d’Okinawa.

Nous découvrons en effet des « techniques secrètes » auxquelles nous ne nous attendions pas!

Ensuite, le cours soriente sur le Kobudo avec des démonstrations de Bo et de Sai.  Le Maître fait un discours sur les différentes formes qui ont existé et qui sont nées dans les environs.  Il pointe du doigt l’île de Tsuken, qui n’est qu’à quelques kilomètres et mentionne les Kata portant des références à cette île bien connue des Karatékas.

Shimabukuro Tsuneo Sensei suspecte qu’il existe un certain nombre d’arts martiaux du clan des samouraïs Ryukyu qui n’ont pas pu être préservés en raison du principe de « Isshisouden » 一子相伝 , qui signifie qu’un Maître transmet ses secrets, ses mystères ou son essence uniquement à son 1er fils (ou à un disciple).

Il y a également le concept de « Mongaifushutsu » 門外不出 ; où des choses importantes sont cachées et perdues parce que le Maître ne les laisse littéralement pas sortir de la porte (mon ) de la maison

Ce long cours s’est terminé sous un beau soleil et Yuko et moi avons fait quelques Kata Shotokan en mémoire de Funakoshi Gichin et de son fils Yoshitaka.  On nous a ensuite offert un thé excellent ainsi que diverses boissons

Kata avec 4 Shimabukuro Sensei… De gauche à droite ; 2ème fils Takashi, le père Tsuneo, le 1er fils Atsushi et le petit-fils Ren.

Avec Sensei et ses fils.

Shimabukuro Tsuneo Hanshi exécutant un Kata.

La conclusion de Daniel :

Ce fut encore une expérience incroyable et comme toujours, difficile à décrire avec des mots usuels.  L’imposante forteresse semblait faire écho à des morceaux d’histoire racontés par Shimabukuro Sensei en projetant des flashbacks fantomatiques de guerriers.  En effet, les armes, les Do-Gi et l’atmosphère de ce château médiéval m’ont donné l’impression de « voyager dans le temps » ainsi que dans une autre dimension.

Hommage au Shotokan-Ryu et à Funakoshi Gichin & Yoshitaka Sensei.

Kata en double avec Yuko Takahashi Sensei.

De retour en bas, heureux, après un entraînement et une expérience incroyables.

Vue du château de Katsuren depuis le Dojo du village de Haebaru.


Daniel Mardon; le Karateka-Thérapeute

Créateur de la méthode Aromapressure® et physiothérapeute également licencié aux U.S.A.; Daniel Mardon est né à Paris.   Une de ses spécialités est l’enseignement et le traitement des lymphoedèmes ainsi que des dommages tissulaires et circulatoires consécutifs aux chirurgies et traitements par radiothérapie.  Sa méthode est utilisée en collaboration avec des Instituts médicaux ainsi que des associations, pour des traitements pré et post-chirurgicaux.     Il fut également physiothérapeute pour deux équipes de football à Paris.    Dès 2005, il fut le producteur de Spas pour de grands hôtels Japonais, tout en œuvrant pour l’enseignement et l’éveil à un plus haut niveau sur les professions de santé.   Auteur de plusieurs livres, une de ses publications majeures est “Physiothérapie et physiologie du travail du corps” (Editions BAB Japan), ainsi que des DVD comme “Daniel Mardon Aromapressure® Method ” (Pony Canyon).   Daniel Mardon apparaît régulièrement dans des émissions de TV, radio ainsi que de nombreuses publications dans les médias.

『身体療法の生理学とボディワーク』(The Physiology of Somatic Therapy and Bodywork)
Co-écrit par Daniel Mardon et Yuko Takahashi En vente à présent sur le site BAB Japan!

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