【L’Esprit des Ryukyu】Série 6 (HIDEN 10/2023)「Yagi Isao SENSEI」
UDUNDI, le Karaté des Rois…
Moidi Motobu-ryu Gassen Tuidi kai Headquarters Dojo Yūsenkan
Depuis plusieurs mois, Daniel Mardon, le « Karatéka-Thérapeute », nous fait découvrir l’épopée du Karaté d’Okinawa à travers des Dojo, Ryuha et Sensei très particuliers. Ces petits bijoux ont tous une histoire très personnelle qui montre la complexité de retracer avec précision la saga du Karaté.
Les Shuri-Té, Tomari-Té et Naha-Té ont encore de nombreuses légendes et secrets à révéler. S’il est admis que le Naha-Té vient de Chine, le Shuri-Té est considéré comme le plus “natif” des Ryukyu…
Il y a quelques mois, j’ai rencontré Hubert Laenen, un Karatéka belge qui m’a confié être 7ème Dan de “Moidi Motobu-Ryu”; un art-martial qui servit naguère à la protection rapprochée de la famille royale et cela pendant plus de 400 ans. Cet art peu connu reste mystérieux, car il ne fut pratiqué que dans l’enceinte du palais; d’où le nom parfois utilisé; “Udundi” (main du palais royal). Il fut créé par une branche de la famille royale nommée Motobu et sa transmission ancestrale ne se faisait qu’à l’héritier direct qui était l’ainé de la fratrie. La méthode s’inspire du “Moidi” (une danse martiale séculaire qui a donné les techniques pieds-poings), du “Tuidi” (projections) ainsi que du Kobudo qui inclut ici des armes guerrières comme le sabre.
Après quelques recherches, j’ai compris pourquoi il existait tant de confusion entre cet art et le “Motobu-Ryu”; créé par Motobu Choki (1870-1944) en 1922. Le Motobu Udundi fut fondé par Motobu Oji Chohei (1655-1687) 11 générations plus tot… Comme Motobu Choki était le 3è fils, il n’a pas eu accès à l’art familiale. C’est donc son frère aîné; Motobu Choyu (1865-1928) qui fut nommé 11e Soke et qui y fut entraîné dès l’âge de 6 ans. Parallèlement, les 2 frères apprirent le Shuri-Té avec Itosu Anko, puis le Tomari-Té avec Matsumora Kosaku.
Donc c’est vers l’âge de 52 ans que Motobu Choki créa son “Motobu-Ryu” (qui fut plutôt appelé “Motobu-Kenpo”) et qui est basé sur le Shuri-Té et le Tomari-Té…
Comme les fils du 11e Soke avaient déménagé au Japon, il leur fut difficile de pratiquer et de reprendre le flambeau. C’est pourquoi Choyu Sensei décida d’enseigner les secrets du Udundi à son meilleur disciple; Seikichi Uehara (1904-2004). Uehara Sensei, qui était devenu le 12th Soke, décida de rendre le titre et les secrets qu’il avait hérités à la famille. Motobu Chomo, le fils ainé de Choyu, fut choisi pour devenir le 13e Soke, mais fut tué dans un raid aérien à Osaka en 1945.
C’est en 1970, que Uehara Sensei révéla au monde l’existence de cet art secret et devint reconnu comme le seul détenteur du “Motobu Udundi”. Toutefois, en 2003 alors qu’il venait d’avoir 99 ans, Uehara Sensei proposa que sa succession devrait revenir à la famille Motobu. Chosei, le 3e fils de Choki Sensei, qui avait déja hérité le 日本傳流兵法本部拳法 (Motobu-Kenpo) de son père, se retrouva à la tête de 2 styles en devenant le 14th Soke du Motobu Udundi.
Uehara Sensei avait comme 1er disciple Shiroma Seihan (1941-2012); un professeur de lycée. Celui-ci l’avait rencontré quand il avait 27 ans et avait étudié le Udundi avec lui pendant de nombreuses années. Il avait ouvert, avec l’accord de son Maître, son propre Dojo qu’il avait nommé le “Moidi Motobu-ryu Gassen Tuidi kai”
A la mort de Shiroma Sensei, c’est Yagi Isao Hanshi 9th Dan qui est devenu le Kancho du superbe Dojo dans les montagnes de Nanjo, au Sud d’Okinawa.
A l’arrivée, 2 dragons géants construits par Shiroma Sensei et son épouse Hideko, gardent l’entrée du Dojo et un 3è veille au fond de la propriété. Leurs regards se dirigent vers l’Est et l’Océan Pacifique…
Biographie de Yagi Isao
Président du Moidi Motobu-ryu Gassen Tuidi kai.
Hanshi 9ème Dan.
Vice-président de la Fédération Kobudo Renmei d’Okinawa.
Directeur permanent de la préfecture d’Okinawa Karatedo Rengo-kai.
Né en 1961 dans la ville d’Uruma, préfecture d’Okinawa.
À l’âge de 13 ans, il commence le karaté qu’il étudie auprès de Seikichi Odo Sensei jusqu’à l’obtention de son shodan (1er Dan). Lorsqu’il entre au lycée, il rejoint le club de karaté et étudie auprès de Shiroma Seihan (Président du Moidi Motobu-ryu Gassen Tuidi kai). En 2012, après le décès de Shiroma Sensei, il devient le successeur de l’association et son nouveau Président.
Vainqueur du Festival culturel Shuri “Karate kumite avec armure”, puis vainqueur du tournoi Open. A remporté le tournoi préfectoral et s’est classé 5ème au tournoi national dans la compétition inter-lycées de karaté « Kumite avec armure ».
En 1982 et 1983, il remporte durant 2 années consécutives, le tournoi Open de karaté du festival culturel Shuri « Kumite avec armure ».
(1-) Comment êtes-vous venu au Karaté?
J’avais vu “Opération Dragon” au cinéma et j’avais été impressionné par Bruce Lee comme beaucoup de mon époque. J’avais un copain dans mon voisinage qui venait de commencer le Karaté et je lui ai dit que je voulais aussi apprendre… Il m’a emmené avec lui à son Dojo. C’était le “Okinawa Kempo Dojo” de Odo Seikichi Sensei et j’y suis resté jusqu’à mon 1er Dan.
Quand je suis allé au lycée, j’ai suivi les cours du Club de Karaté et son Directeur était Maître Shiroma Seihan…. Quelle chance! J’ai appris de nombreux Kata et j’y ai pratiqué le combat réel avec une armure. J’ai d’ailleurs gagné les championnats étudiants de la Préfecture d’Okinawa, puis obtenu la 5e place au niveau national. Merci à Shiroma Sensei pour son enseignement.
(2-) Quelles sont les caractéristiques de votre école?
Il s’agit d’un art martial très ancien qui descend du “Motobu Udundi”; un art martial secret de la famille royale des Ryukyu. Il est donc considéré comme appartenant au Shuri-Té, mais est assez différent. Nous utilisons une grande variété d’armes et de tactiques qui viennent du Kobudo et d’ailleurs. Il existe beaucoup de “Ryuha” (styles) dans le Karaté d’Okinawa, mais le “Motobu Udundi” est probablement le plus ancien.
Toutefois, comme il ne fut transmis que dans le secret du palais, il ne fut découvert publiquement que depuis 50 ans. Le nom “Motobu Udundi” (本部御殿手) fut créé par Uehara Sensei en 1970.
(3-) Quelle est votre spécialité?
The “Tuidi” (Torité en Japonais). L’idée est de maitriser l’adversaire sans le tuer.
(4-) Quel est le plus grand souvenir de votre “Shisho” (Maître)?
Shiroma Sensei est décédé de maladie il y a 11 ans, mais durant ce long combat, il ne s’est jamais plaint devant ses disciples et gardait toujours un visage calme et serein. J’ai pensé que ce Maître était un réel “武人bujin/guerrier” jusqu’à la fin. Il disait :” Si vous pratiquez l’état de “calmitude”, vous pourrez toujours rester détendu même en cas d’urgence et quelque soit les attaques de votre environnement. Vous pouvez le développer par la pratique des arts-martiaux répétait-il. J’ai de très profonds souvenirs de la vie de mon Maitre…
(5-) Quelle est la différence entre le Karaté d’Okinawa et celui du Japon?
J’entends souvent dire par les professeurs de Karaté d’ici, que le Karaté du Japon est devenu plus compétitif. C’est vrai! A Okinawa, nous donnons de la valeur aux traditions et nous apprécions l’enseignement du Kata qui nous vient des temps anciens. Mais nous apprécions aussi beaucoup le “Kumite-jutsu” qui nous a toujours été enseigné.
(6-) Enseignez-vous beaucoup aux étrangers?
Nous avons à présent des représentants à l’étranger et nous assurons la continuité de leur enseignement chaque année. Durant ces 3 dernières années nous avons dû reporter à cause du Covid, mais nous avons rouvert.
(7-) Que pensez-vous de la mondialisation du Karaté?
Étant un sujet des Ryukyu et de la source du Karaté, je suis content que le Karaté d’Okinawa impacte le monde. Il faut comprendre que bien que nous ayons eu un royaume unifié de 1429 à 1879, nous avons toujours vécu dans des territoires sous monarchie. Je crois qu’il en fut de même pour vous en France… Nos petits territoires ont prospéré grâce au commerce avec la grande puissance chinoise sous les dynasties Ming et Qing.
Toutefois, dès 1609 les Ryukyu furent sous le contrôle du clan Japonais Satsuma (薩摩藩 Satsuma han) et durent lui payer une dîme annuelle. Okinawa a ensuite servi de champ de bataille durant la 2e guerre mondiale et nous avons perdu un tiers de notre population pour finir sous le joug des USA… Après avoir été tant malmené et soumis, je souhaite que notre Karaté nous sorte de cette disgrâce et apporte la paix dans le monde…
(8-) Que pensez-vous du Karaté qui se tourne de plus en plus vers la compétition et même les Olympiades?
En effet, le Karaté devient de plus en plus compétitif et les Kata semblent avoir été reconstruits sur des bases différentes incluant le tempo (間合い/まあい/maai), le Kimé (極め/きめ/pose et pause), le son (martèlement des pieds, claquement du Do-Gi), etc.
Les Kata ne devraient pas enjoliver avec des “ronds de jambes” (tameru 溜める/ためる). A quoi bon? Nous sommes plusieurs à Okinawa à avoir cette vision et si le “Moidi Motobu-Ryu” pouvait se répandre, ce serait bien.
(9-) Que représente pour vous le Karaté d’aujourd’hui?
Tristement, les guerres et les conflits persistent au 21e siècle!
Il est donc important d’apprendre à se défendre…
(10-) Comment envisagez-vous le futur du Karaté?
En ce moment, le monde du Karaté d’Okinawa s’active à la réalisation d’une reconnaissance mondiale de son héritage culturel par le biais de l’UNESCO. J’ai envie de faire partie de ce passage à nos générations futures.
(11-) Avez-vous un message à faire passer au monde?
Élargissez votre horizon en venant apprendre notre Karaté à sa source ici à Okinawa…
(12-) Quelle est pour vous la signification du label “Karaté”?
L’entraînement du “心技体”Shingitai afin de soutenir la vie.
Note: Mot très à la mode regroupant: shin心(kokoro)gi技(waza) tai体(karada). Esprit-technique-corps
—— Conclusion de Daniel Sensei
Cette interview m’a fait voyager dans le temps.
Le Moidi Motobu-ryu m’a conduit bien au-delà de la Chine et du Japon…. Le maniement des armes m’a fait voyager encore sur la “Route de la soie”. Les rotations du corps en toupies m’ont rappelé les “Derviches-tourneurs” de Turquie ainsi que de Perse et les reflets métalliques des sabres ont projeté des éclats vers l’Inde.
Bodhidharma mériterait aussi sa photo…
Cet art-martial est le plus complet qu’il m’ait été de pratiquer. Certaines techniques semblent cousines avec le “Zorkaneh” d’OUzbekistan et les postures “en garde” et coups de pieds ressemblent étrangement à notre “Savate” ancestrale… Une traversée du monde qui aurait pour terminus Okinawa?
Daniel Mardon; le Karateka-Thérapeute
Créateur de la méthode Aromapressure® et physiothérapeute également licencié aux U.S.A.; Daniel Mardon est né à Paris. Une de ses spécialités est l’enseignement et le traitement des lymphoedèmes ainsi que des dommages tissulaires et circulatoires consécutifs aux chirurgies et traitements par radiothérapie. Sa méthode est utilisée en collaboration avec des Instituts médicaux ainsi que des associations, pour des traitements pré et post-chirurgicaux. Il fut également physiothérapeute pour deux équipes de football à Paris. Dès 2005, il fut le producteur de Spas pour de grands hôtels Japonais, tout en œuvrant pour l’enseignement et l’éveil à un plus haut niveau sur les professions de santé. Auteur de plusieurs livres, une de ses publications majeures est “Physiothérapie et physiologie du travail du corps” (Editions BAB Japan), ainsi que des DVD comme “Daniel Mardon Aromapressure® Method ” (Pony Canyon). Daniel Mardon apparaît régulièrement dans des émissions de TV, radio ainsi que de nombreuses publications dans les médias.