【L’Esprit des Ryukyu】Série 5 (HIDEN 09/2023)「Shinjo Masashi SENSEI」
5e SHINJO MASASHI SENSEI
-SHOBUKAN SOHONBU DOJO-
UN DOJO RESTÉ INTACTE “DANS SON JUS”, APRÈS PLUS DE 60 ANNÉES!
Fondé par Shinjo Masanobu Hanshi 10è Dan (1937-1993) en 1963, ce Dojo siège dans le quartier de Yaeshima; entre la base militaire de Kadena et l’ancien “Red-Light district” d’Okinawa City…
Hanshi Shinjo Masanobu avait étudié avec 2 grands Maitres de Karaté.
-1) Toguchi Seikichi (1917-1998), le plus ancien disciple du créateur du Goju-Ryu; Miyagi Chojun (1888-1953).
-2) Higa Seko (1898-1966), disciple de Higaonna Kanryo (créateur du Naha-Te) et qui fut également “Kyodai Deshi” de Miyagi Chojun.
Shinjo Masanobu Sensei possédait une force musculaire si impressionnante qu’il fut surnommé “L’homme fort d’Okinawa”. Il était également reconnu internationalement comme un fin technicien pour ses Kata notamment et fut souvent comparé à Miyagi Chojun Soke lui-même!
Shinjo Masanobu Sensei est décédé en 1993 à l’âge de 56 ans. Il servait également au poste de président de la “All Okinawa Karatedo Federation”. Il faut savoir que les Dojo à Okinawa représentent presque toujours une association et qu’il faut donc être au moins 5è Dan pour en avoir la direction. Son fils ainé Shinjo Masashi était encore trop jeune pour devenir le nouveau “Kancho” du Dojo. Ainsi, c’est le plus gradé des élèves; Takushi Seiki (10è Dan de Kobudo et 9è Dan de Karaté), qui fut nommé pour la succession des affaires et ce, jusqu’en 2005, quand Masashi obtiendra son 5è Dan. A 83 ans, Takushi Sensei est encore aujourd’hui le conseiller du Shobukan Sohonbu Dojo.
C’est encore par une étouffante soirée d’été que va se faire notre reportage. Le petit jardin tropical devant l’entrée du Dojo nous apporte une dose d’exotisme à défaut de fraîcheur. Le splendide ébène qui fut planté lors de la construction du Dojo a pour pendant sur sa gauche, un superbe pin des Ryukyu. Un très beau décor qui nous replonge dans un passé plein de drames mais aussi de reconstructions et de joies. Il me vient une vision fantôme des G.I. qui, dès la tombée du soir, venaient chercher leur “petit bonheur” auprès des plus de 300 filles oeuvrant, depuis cette colline jusqu’à la vallée d’en bas. Des récits évoquent les interventions musclées des Karatéka locaux et la crainte qu’ils imposaient à l’occupant. Les Karatéka aidèrent grandement les Okinawaïens à rester Maître chez eux.
BIOGRAPHIE de Shinjo Masashi
Directeur général du “Okinawa Karatedo Goju-ryu Shobukan”.
Directeur du “All Okinawa Karatedo Federation”.
Président du “Okinawa Karatedo Goju-ryu Goju-kai”.
(1-) Qu’est-ce qui vous a amené à pratiquer le karaté?
Mon père, Masanobu Shinjo, a ouvert ce Dojo en 1963 alors qu’il avait 25 ans. Je suis donc né dans une maison avec un Dojo et j’ai grandi dans un environnement où le karaté m’était familier. Dès que j’ai pu marcher, j’ai frappé à la porte du Dojo, mais c’est vraiment à l’âge de 10 ans que j’ai commencé. A cette époque, moins d’enfants pratiquaient le karaté qu’aujourd’hui, donc je pratiquais surtout avec des adultes.
—Savez-vous comment votre père a commencé le Karaté?
Mon père, qui avait pratiqué le Judo au lycée, a découvert le Dojo de Toguchi Sensei, à Nakanomachi, dans la partie d’Okinawa City que nous appelons Koza. Higa Seko enseignait également dans ce Dojo, alors mon père a décidé d’apprendre le Karaté avec ces 2 célèbres professeurs. A cette époque, Toguchi Seikichi et Higa Seko Sensei vivaient à environ 1 mile du Dojo de Koza, dans le district de Yaeshima. Il est important de dire que juste après la guerre, Yaeshima était devenu un quartier très populaire puisqu’il se trouvait à proximité de la porte principale de la base militaire américaine de Kadena. C’était un endroit agréable à vivre avec de nouvelles opportunités. De nombreux “A sign bars” (“Approuvés” par l’armée américaine) s’ouvraient aux bords des routes minuscules et tortueuses qui sillonnent la vallée derrière. Les gens venaient de tout Okinawa pour faire des affaires. En fait, le Shobukan Dojo et ma maison ont été construits juste en face de l’endroit où se trouvait “Gate 2”; cette entrée principale de caserne. Cette porte a été déplacée de quelques centaines de mètres vers le sud à la fin des années 50.
(2-) Quelles sont les caractéristiques de votre “Ryuha” (Dojo)?
“Okinawa Traditional Karate Goju-ryu”. Comme son nom l’indique, c’est le Ryuha (style) d’origine et qui est basé sur l’harmonie entre la dureté et la fluidité. Goju-Ryu vient de l’association de “Go” 剛 (dur) et “Ju” 柔 (doux). “Go” représente généralement de fortes frappes linéaires qui utilisent des techniques mains fermées exécutées en expirant. “Ju” concerne davantage les blocages circulaires mains ouvertes et des mouvements en inspirant. Respirer correctement est une caractéristique de ce style.
(3-) Quel est votre Waza et Kata préféré?
Mes Kata préférés sont “Seienchin” et “Seisan”.
(4-) Quel est le souvenir le plus impressionnant de votre Sensei/(Shisho) ?
Mon père, qui était mon Shisho, était une personne très calme, honnête, sérieuse et passionnée. Il était du genre à s’immerger dans tout ce qu’il faisait. À cette époque, le karaté était enseigné dans la philosophie traditionnelle d’Okinawa qui est de “regarder pour apprendre”, plutôt qu’un enseignement assisté étape par étape. Je pense qu’il a été fortement influencé par ses maîtres Toguchi et Higa Sensei.
Mon père était au Dojo du matin au soir. Les disciples venaient tout le temps, donc il ne pouvait pas s’entraîner. Quand personne ne venait, il se concentrait sur sa propre pratique.
Mon père était ce qu’on appelle aujourd’hui un « minimaliste ». il n’avait même pas de permis de conduire. Il ne voulait rien d’autre que ce qui est nécessaire pour le karaté. Il n’était pas du tout intéressé par le superflu… Il semble que la seule chose qui l’intéressait était Sanchin.
(5-) Quelle est la différence entre le karaté d’Okinawa et celui du Japon?
Je pense que la différence n’est pas tant dans les styles, mais plutôt dans la sémantique et le langage… Le dialecte des Ryukyu n’a pas voyagé aussi bien que les techniques. Nos maîtres du passé sont allés au Japon continental pour enseigner leur karaté, mais il y a cinquante ans, la plupart des Karaté Sensei ne parlaient pas le Japonais standard ! Ils enseignaient dans notre dialecte d’Okinawa; le Uchinaaguchi. De plus, le karaté d’Okinawa n’était enseigné que par « Kuden » 口伝 (verbalement/oralement) et accompagné de « Ōgi » 奥義 (révélations, subtilités) et de « Hiden » 秘伝 (secrets transmis uniquement par les Maîtres)…
Tout cela a semé la confusion chez les élèves et l’enseignement de base en a pâti…
Par exemple, si votre Sensei dit : Mettez-vous en position ヤールー“Yaru” ou encore en posture マヤー“Maya”, vous n’y comprendrez rien! “Yaru” signifie gecko et “Maya” signifie chat… Outre l’incompréhension des mots, il y a le facteur culturel. “Marcher comme un gecko” ou “bouger comme un chat” n’a pas grand sens pour un citadin. Pareil pour “Gamaku”; même si ce mot devient à la mode aujourd’hui [et je sais que Daniel l’adore et le répand! lol], quand un Sensei dit d’engager le “Gamaku”, la plupart des gens, y compris les locaux, n’ont aucune idée de ce que c’est.
Par conséquent, même lorsque les étudiants apprenaient le karaté dans les grandes universités japonaises, la plupart d’entre eux ne pouvaient pas comprendre et percevoir l’essence véritable du karaté. Il semble que certains Sensei aient dû retourner à Okinawa parce qu’ils ne pouvaient pas transmettre leur art, même s’ils faisaient de leur mieux.
De plus, certaines choses ne peuvent être apprises sans le “climat” et “l’atmosphère” des îles d’Okinawa. L’air et la météo du Japon continental sont différents et cela est encore plus vrai pour les pays étrangers.
(6-) Enseignez-vous souvent aux étrangers?
Localement, beaucoup moins que dans le passé, mais Shobukan a 17 Dojo satellites. 1 est situé dans la préfecture de Kochi, 14 dojos sont aux États-Unis, 1 dojo au Brésil et 1 dojo en Inde. Nous avons la visite régulière des membres de chaque branche qui sont les bienvenus au Hombu Dojo d’Okinawa et qui viennent s’entraîner avec nous.
(7-) Que pensez-vous de l’essor mondial du karaté aujourd’hui?
J’en suis très heureux. Si possible, j’aimerais que les passionnés de Karaté du monde entier découvrent l’authentique Karaté traditionnel, qui fait partie de la vie quotidienne à Okinawa et le ramènent dans leur pays pour le diffuser.
(8-) Que pensez-vous du fait que le karaté devient un sport de compétition avec des ambitions olympiques?
Je pense que l’exposition du karaté pendant les Jeux olympiques a eu un effet majeur. C’est un grand plus pour le monde du Karaté. Quant à en faire un sport de compétition, je pense qu’il serait bon en effet que les élèves et les enfants pratiquent le Karaté comme sport de compétition.
(9-) Quelle est la signification du Karaté en tant qu’art martial de nos jours?
Même si les temps ont changé, la formation correcte d’une personnalité ne changera pas. Je pense que le Karaté est encore un art martial très approprié pour l’entraînement mental à notre époque. Je crois sincèrement que le karaté est quelque chose que vous construisez et qui reviendra dans votre vie sous une forme ou une autre.
(10-) Comment envisagez-vous l’avenir du Karaté?
Je pense qu’il va se répandre dans le monde entier grâce à Internet.
(11-) Avez-vous un message pour le monde?
Le Karaté est un art martial qui valorise l’harmonie “Wa” 和.” (Respect mutuel, coopération, calme). Je crois qu’en répandant le Karaté dans le monde, les guerres et les conflits disparaîtront.
(12-) Que signifie « Karaté » pour vous?
C’est une chose qui m’entoure depuis que je suis né.
—Conclusion Daniel Sensei:
Dans cette interview, j’ai été très heureux de voir un Karaté qui applique des connaissances physiques avancées de biomécanique ainsi que des techniques respiratoires. L’accent mis sur le positionnement du pied en particulier et qui affecte le mouvement de tout le corps! J’avais appris cela du grand chorégraphe de ballet Maurice Béjart et j’ai toujours pensé qu’il fallait l’appliquer absolument au Karaté. Ceux d’entre vous qui ont lu mes livres savent que mon corps a été endommagé plus tôt que la normale par le “Karaté moderne”. Il est vrai que j’ai aussi abusé, mais quand même ! Beaucoup de mes amis Karatéka de la même génération souffrent également d’arthrose et d’inflammations chroniques.
Une nouvelle rhétorique à la mode prétend qu’un enseignant ne peut apporter que 10% et que le praticien doit développer lui-même les 90% restants des graines… Cela sonne comme une façon paresseuse de refuser ses responsabilités, ainsi que comme un manque de professionnalisme de la part des profs, non?
Enfin, je voudrais dire que la France a été le premier pays d’Europe à ouvrir un Dojo de Karaté (1953), mais contrairement au Karaté américain, le Karaté français n’est pas venu d’Okinawa, et était donc différent. Beaucoup de Français qui ont appris le Karaté et qui sont devenus professeurs ont dû l’apprendre avec leurs propres interprétations et d’après ce qu’ils ont pu retirer des enseignements des Maîtres Japonais. Ils ont dû faire face à des barrières culturelles et linguistiques bien plus importantes que les Japonais avaient subies avec leurs Sensei d’Okinawa.
Ainsi, même si la biomécanique était parfois inappropriée, elle se retrouvait enveloppée d’un voile de fascination pour les cultures exotiques et on passait l’éponge…Pour les pratiquants de ma génération, l’idée était à la base : “si tu n’y arrives pas, tu es faible !” Cependant, je ne peux pas dire que la méthode d’enseignement fut totalement mauvaise, car certains professeurs s’en souciaient vraiment. Disons que le Karaté est encore un vrai défi à relever et est souvent victime de bonnes intentions avec de mauvaises méthodes… Ces expériences négatives m’auront inspiré à explorer le corps et à devenir thérapeute.
Je recommande vraiment d’étudier les effets physiques du Karaté sur le corps avant même d’envisager ses éventuels bénéfices sur l’esprit.
Daniel Mardon; le Karateka-Thérapeute
Créateur de la méthode Aromapressure® et physiothérapeute également licencié aux U.S.A.; Daniel Mardon est né à Paris. Une de ses spécialités est l’enseignement et le traitement des lymphoedèmes ainsi que des dommages tissulaires et circulatoires consécutifs aux chirurgies et traitements par radiothérapie. Sa méthode est utilisée en collaboration avec des Instituts médicaux ainsi que des associations, pour des traitements pré et post-chirurgicaux. Il fut également physiothérapeute pour deux équipes de football à Paris. Dès 2005, il fut le producteur de Spas pour de grands hôtels Japonais, tout en œuvrant pour l’enseignement et l’éveil à un plus haut niveau sur les professions de santé. Auteur de plusieurs livres, une de ses publications majeures est “Physiothérapie et physiologie du travail du corps” (Editions BAB Japan), ainsi que des DVD comme “Daniel Mardon Aromapressure® Method ” (Pony Canyon). Daniel Mardon apparaît régulièrement dans des émissions de TV, radio ainsi que de nombreuses publications dans les médias.