HOME > Feature Articles > 【L’Esprit des Ryukyu】Série 1 (HIDEN 05/2023) 「Hokama Tetsuhiro SENSEI」

Une nouvelle série d’articles destinée à explorer “L’Esprit des Ryukyu”!
Pèlerinage au pays du Karaté avec Daniel Mardon, le Karatéka-thérapeute! 

VISITE DE DOJO TRADITIONNEL A OKINAWA.
Le Karaté obtient une telle popularité en tant que sport mondial, qu’il a été présenté aux Jeux Olympiques de Tokyo.

Toutefois, à Okinawa -le berceau du Karaté-, il existe encore beaucoup de Maîtres qui pratiquent selon les traditions et avec l’esprit du guerrier.

Dans cette nouvelle série d’articles, Daniel Mardon, Karatéka et Physiothérapeute de longue date, nous fait découvrir ces endroits souvent difficilement pénétrables où l’on travaille encore à l’ancienne…
Interview/Rédaction Daniel Mardon.  Photo/Traduction Yuko Takahashi

1er DOJO-
Hokama Tetsuhiro 10è Dan Hanshi, une légende d’ Okinawa qui a maitrisé aussi bien le “
bun” (parcours académique) que le “bu” (pratique des arts-martiaux) nous ouvre ses portes en grand.

On dit qu’il existerait entre 300 et 400 Dojo à Okinawa.  Ceci est difficile à répertorier, vu que certains restent très privés.  Je constate que depuis quelque temps, beaucoup disparaissent et c’est pourquoi j’ai eu l’idée de m’y intéresser de plus près.  Le Covid a bien sûr contribué à la fermeture de certains, mais il y a aussi un facteur beaucoup plus grave et qui est le vieillissement de nos grands Maitres.  Je possède des photos montrant des Dojo ancestraux à l’abandon ou en pleine démolition et qui cèdent la place à des commerces où à des maisons neuves.

Au cours de ces reportages, nous allons découvrir des joyaux rares dans lesquels plane l’esprit authentique des arts-martiaux d’Okinawa.  Tout ceci sans discrimination envers la taille, la popularité ou le style pratiqué.

Maître Hokama est aussi un grand collectionneur qui a accumulé tellement de documents et d’objets se rapportant aux arts-martiaux, que son Dojo s’est mis à devenir un musée sur 2 étages!  Depuis le 11 Janvier 1987, il est désigné officiellement comme “Musée du Karaté de la Préfecture d’Okinawa.  Hokama Sensei en est le Directeur et ne cesse de l’alimenter de nouveaux éléments.   Malgré son 10è Dan en Karaté Goju-Ryu et en Kobudo, cette véritable légende-vivante reste très ouverte à toutes autres écoles et philosophies.  L’exceptionnelle ouverture de Maître Hokama aux étrangers en fait de lui l’un des meilleurs pour communiquer l’esprit originel du Karaté au monde entier.

Un immeuble jaune canari sous le ciel bleu abrite le “Okinawa Prefectural Karate Museum” ainsi que la direction du Gojuru Kenshikai Karatedo & Kobudo.

Hokama Hanshi & Daniel le K.T. dans la rue devant l’immeuble.

L’entrée du Musée-Dojo.


Hokama Tetsuhiro

Né à Taiwan en 1944.  Président du “Okinawa Goju-Ryu Kenshikai”.  Hanshi 10e Dan Goju-Ryu/Hokama Kobudo.  Conservateur du “Okinawa Prefectural Karate Museum”.  Historien spécialiste des Ryukyu.  Maître de Calligraphie (nom de plume: “Shungan”), PhD en Karaté, ancien Professeur de Lycée et Collège.


(1) Qu’est-ce qui vous a amené à pratiquer le karaté?
Mon grand-père maternel était Tokuyama Seiken et il pratiquait le Shuri-té.  Ma mère pratiquait aussi et le Karaté m’était donc familier. 
Je dois dire que j’ai 78 ans et que je suis né pendant la 2e guerre mondiale à Taiwan, où ma famille s’était réfugiée.  Après la guerre, nous sommes revenus à Okinawa et c’est là que j’ai vraiment commencé.  J’avais 6 ou 7 ans, mais j’ai entendu dire que je pratiquais depuis tout petit.

(2) Quelles sont les caractéristiques de votre “Ryuha” (dojo)?
J’ai ouvert ce Dojo le 16 Février 1978, il y a donc 45 ans.  J’y ai créé le 1er Musée du Karaté au monde il y a 36 ans.  De toute la planète, les gens y viennent et quelque soit leur style.  Je crois qu’il y a 198 pays au monde à présent et l’on vient chez moi de 182 d’entre eux.  J’ai voyagé à travers les 5 continents pour enseigner.  Ce Dojo est ouvert à tous.  Durant mes stages, on pratique kata et kumite.  J’enseigne aussi le Bo, le Nunchaku ainsi que le  Sai du Kobudo.  De plus, j’ai 2 cours spéciaux.  Un de Kyushojutsu; qui vise les points vitaux, plus un de Nagewaza qui consiste en des techniques apparentées au Judo.
Je propose du Shodo (Calligraphie), de l’Histoire des Ryukyu, ainsi que de l’Archéologie, qui représentent mes autres passions.
La Calligraphie et le Karaté ont une vertu commune.  Calligraphie et Karaté demandent de la concentration.  Ceci a pour effet de calmer l’esprit immédiatement.  J’avais appris la Calligraphie par mon père.

Les murs du Dojo sont couverts de photos ainsi que de documents précieux.

À l’étage du Musée, une collection impressionnante d’objets, d’archives et de photos du sol au plafond!

Diverses armes utilisées dans le Kobudo

(3) Quels sont votre Waza et Kata préférés?
Kyushojutsu (points-vitaux) comme Waza et Suparinpei pour Kata.

(4) Quelle est le souvenir le plus impressionnant laissé par votre  Sensei/(Shisho)?
Les pratiquants de karaté ont souvent plusieurs Maîtres et ceci est normal.  J’ai appris le Goju-ryu avec Higa Seko Sensei et Fukuchi Seiko Sensei.  Les 2 enseignaient dans le même Dojo.  Matayoshi Shinpo Sensei donnait ses cours de Kobudo également dans ce même Dojo.  Imaginez combien j’ai eu de la chance de pouvoir apprendre avec un trio pareil au même endroit!  Si j’apprenais qu’un autre Maître enseignait le Sai par exemple, je courais m’inscrire à son Dojo.  Higa Sensei était professeur d’école et je l’étais aussi.  Quand il a pris sa retraite, il est parti enseigner à la prison d’Okinawa.  Durant une période assez courte, je l’ai accompagné sous prétexte de porter son sac, mais ce fut une étude sociale pour moi.  Higa Sensei était un vrai dur avec un langage fort.  Sa façon de parler et de choisir ses mots était très impressionnante.  Quand il enlevait sa veste, je devais la lui prendre et la plier.  A l’époque nous n’avions pas de sac et nous utilisions des Furoshiki pour envelopper nos affaires.  Quand je marchais dans la rue à ses côtés, je tenais une ombrelle parce qu’il ne faut jamais marcher sur l’ombre d’un Maître!  Tout ceci existait jadis et était très normal.

Daniel “le Karatéka-Thérapeute” en grande discussion avec Hokama Hanshi, sur le présent et le futur du Karaté. On peut être deux sérieux Karatéka tout en aimant bien rigoler!

Hokama Hanshi en train de démontrer ses techniques secrètes à notre  K.T. Daniel.

Yuko Takahashi Sensei s’entraîne aussi sous la supervision du Maître.

3 différents “Kamae”.

(5) Quelle est la différence entre le Karaté d’Okinawa et celui du Japon?
L’origine du Karaté est Okinawa.  Toutefois, des systèmes de combat originaires de Mésopotamie et de Turquie auraient gagné l’Inde ancienne.  Plus tard, par la “Route de la soie”, ces techniques se seraient répandues vers Quanzhou et Fuzhou, dans la province chinoise de Fujian.  Elles auraient été importées ensuite aux Ryukyu.  Ces techniques ont certainement influencé la base de notre Karaté ancestral; le “Te-i”, dans lequel elles ont été incluses pour former le Karaté d’aujourd’hui.

Okinawa fut donc le terminus de la “Route de la soie”… D’autres arts-martiaux originaires de l’Asie du Sud-Ouest comme l’Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande, les Philippines et Bali, ont aussi influencé ceux d’Okinawa.  Les Ryukyu, qui furent envahies précédemment par le Clan Satsuma de Kyushu en 1609, sont devenues un “Han” (Territoire japonais) en 1870, puis une Préfecture en 1879.   Un peu plus tard, Maître Higaonna Kanryo ouvre le premier Dojo de l’histoire du Karaté et y enseigne son art Chinois qui pris le nom officiel de Naha-Té.  Jusqu’à présent, le Karaté avait toujours été pratiqué en secret.

En 1922, Sensei Gichin Funakoshi fut convoqué par les autorités japonaises afin de venir présenter le Karaté au Japon.  Presque immédiatement, le Karaté devint systématiquement enseigné dans les grandes Universités.  Une fédération fut crée ainsi qu’un système de grades.  Voici donc le type de Karaté qui fut développé au Japon.  Un Karaté très différent de celui d’Okinawa.

Tout comme la natation-synchronisée demande charme et beauté, le Karaté olympique doit aussi faire appel à un sens de l’esthétique pour être noté correctement.  Mon point de vue est que le Karaté traditionnel d’Okinawa n’est pas très beau à regarder, alors que le karaté sportif se doit de l’être…

A Okinawa, nous n’aimons pas trop pratiquer devant un miroir en prenant des poses ni à faire des pauses en fin de mouvement (Kimé).

Photos anciennes du Dojo de Higa Sensei “Karatedō Goju Ryu Shōdōkan”.  (Photo de gauche) L’entrée du Dojo.  Le grand et jeune Karatéka; Tetsuhiro Hokama, se tient à côté du grand Maitre Shinpō Matayoshi.  (Photo de droite) Sekō Higa Sensei en plein cours.

(6) Enseignez-vous souvent aux étrangers?
Oui, tout le temps!   Comme mentionné précédemment, je reçois des pratiquants de styles variés et qui viennent de 182 pays.  Je me fiche des styles!  Je leur demande plutôt de me poser des questions sur ma façon de pratiquer notre art.  “Demandez-moi pourquoi!”  Pourquoi plié-je mes doigts de tel ou tel façon?  Pourquoi je frotte mes pieds sur le plancher?   Pourquoi je me sers de la paume de ma main?  Je veux que mes élèves me demandent “pourquoi” plutôt que de juste m’imiter… Ils viennent de très loin et je veux qu’ils reviennent en ayant maîtrisé la base du Karaté.

(7) Que pensez-vous de la popularité globale du Karaté?
C’est merveilleux!  Le Karaté qui n’oscillait que sur 2 axes bilatéraux entre Okinawa et le Japon, fonctionne à présent sur 3 axes.  Le Karaté d’Okinawa et celui du Japon marchent en parallèle et constituent la base, alors que celui du monde grimpe au sommet.  Ceci constitue une pyramide solide qui va immortaliser le Karaté.  Le Karaté est le sport et l’art-martial le plus populaire au monde!
――Mais le Taekwondo est un sport Olympique?

Savez-vous que le Taekwondo vient de notre Karaté?
Gichin Funakoshi Sensei l’avait enseigné à 4 Coréens.  Ceux-ci sont repartis dans leur pays et se sont mis à le diffuser.  Le Taekwondo est devenu le sport national de la Corée du Sud et n’a qu’une seule fédération.  Si la Corée avait 4 fédérations comme à Okinawa, le Taekwondo ne pourrait pas être un sport Olympique!

3 générations de Karatéka!  Le petit-fils Kengo Hokama avec son père
Tsuyoshi Hokama Shihan.

(8) Que pensez-vous du karaté qui devient de plus en plus un sport de compétition et qui souhaiterait devenir Olympique?
Si les gens veulent faire de la compétition, qu’ils en fassent!  Quant aux Olympiques, vu que cela vient de Grèce, rendons-les à la Grèce!  Ce serait juste pour les Grecs et ceci éviterait toute politique, corruption, pertes d’argent et destruction de l’environnement… Pour les jeux d’hiver, choisissons un endroit qui a naturellement beaucoup de neige. Aussi, le symbole Olympique qui réunit 5 cercles de couleurs est censé représenter 5 continents?  Hors seulement 4 continents les reçoivent!  Il n’y a jamais eu de J.O. en Afrique!  Les pays riches dépensent des fortunes pour un événement si court.  J’ai visité des villages Olympiques quelques années après et c’était un désastre!  Quel gâchis à tous niveaux!  La Grèce pourrait collecter l’argent des riches et en distribuer une partie pour nourrir les pays pauvres.  Il y a plus de 800 millions de gens affamés dans notre monde!  Je suis né durant la guerre et je sais ce que c’est.  Je cherchais de la nourriture dans les poubelles.  Donc j’espère que l’on va arrêter tout ce gâchis.

Enseignant une spécialité du Kumite d’Okinawa: “Kakiè”

Un grand classique d’Okinawa.  L’entraînement du Kata “Sanchin”, en portant des ustensiles de toutes sortes.

Classe enfants.  On peut voir et ressentir une éducation bienveillante.

(9) Quelle est la signification du karaté comme art-martial de nos jours?
Bonne question!  De nos jours, les jeunes sont sur leur téléphone même en marchant.  Ils ne voient de la vie que leur minuscule écran!  Si ceci est mauvais pour la vue, c’est aussi dangereux de ne pas regarder autour de soi.  Cette pratique les conduit aussi à l’isolation et au suicide.  Le Karaté fabrique un esprit sain dans un corps sain.
Quand je porte mon attention en Karaté, je m’oublie.  Cette forme de conscience alternative se nomme Ritsuzen(
立禅) en Japonais.  Un Zen debout, en opposition au Zazen(座禅).  Je crois que par la concentration sur un travail, la personne prend conscience de la signification des choses importantes de la vie.  Les relations humaines, qui sont essentielles, se retrouvent normalisées. 

(10) Comment voyez-vous le futur du karaté?
Le Karaté est répandu planétairement.  A ma connaissance, aucun autre art-martial Japonais ne s’est développé autant de par le monde en venant d’une si petite île.  Je ne peux qu’espérer qu’il va continuer à se populariser, mais dans la bonne direction.

(11) Avez-vous un message à adresser au monde?
J’espère qu’à travers le karaté, les personnes de tout âge, hommes ou femmes, deviendront plus sains de corps et d’esprit et construiront ensemble un monde empreint de plus d’amour et de paix.

(12) Que signifie “karaté” pour vous? Comment le définissez-vous?
Je le considère comme étant l’épitome; l’incarnation de l’idéal de la vie.  Le Karaté m’a apporté beaucoup d’expérience et de joie.  Si je n’avais pas fait de Karaté, je ne serais pas autant connecté au monde.  Quand j’étais jeune, je pratiquais parfois jusqu’à minuit, parce que cela me rendait heureux.  A présent je ne fais qu’enseigner, mais quand je démontre un Kata et que je vois mes étudiants progresser, cela me rend aussi heureux.  J’aime énormément l’interaction avec les autres Karatéka.  Grâce au Karaté, j’ai pu rencontrer Daniel-san et Yuko-san et j’en suis heureux!

――Moi aussi…!  Grâce au Karaté, j’ai pu connaitre Maitre Hokama.  Arigato Karaté et merci beaucoup Sensei, pour cette interview et toutes les fois que vous m’avez accueilli dans votre Dojo.

Photo avec la future relève et nos jeunes Karatéka.

Les élèves du Kenshikai posent avec des Karatéka étrangers.


Daniel Mardon; le Karateka-Thérapeute 

Créateur de la méthode Aromapressure® et physiothérapeute également licencié aux U.S.A.; Daniel Mardon est né à Paris.   Une de ses spécialités est l’enseignement et le traitement des lymphoedèmes ainsi que des dommages tissulaires et circulatoires consécutifs aux chirurgies et traitements par radiothérapie.  Sa méthode est utilisée en collaboration avec des Instituts médicaux ainsi que des associations, pour des traitements pré et post-chirurgicaux.     Il fut également physiothérapeute pour deux équipes de football à Paris.    Dès 2005, il fut le producteur de Spas pour de grands hôtels Japonais, tout en œuvrant pour l’enseignement et l’éveil à un plus haut niveau sur les professions de santé.   Auteur de plusieurs livres, une de ses publications majeures est “Physiothérapie et physiologie du travail du corps” (Editions BAB Japan), ainsi que des DVD comme “Daniel Mardon Aromapressure® Method ” (Pony Canyon).   Daniel Mardon apparaît régulièrement dans des émissions de TV, radio ainsi que de nombreuses publications dans les médias.

『身体療法の生理学とボディワーク』(The Physiology of Somatic Therapy and Bodywork)
Co-écrit par Daniel Mardon et Yuko Takahashi En vente à présent sur le site BAB Japan!