texte par Satoshi Taito, traduction par Lionel Lebigot
Qu’en est-il du « kama no te » du Kingai-ryû-Okinawa kobujutsu présenté ci-après ? Le royaume commerçant de Ryûkyû a combiné les techniques de combat du Japon et de Chine pour donner naissance à son propre art de combat. Hayasaka Yoshifumi shihan nous dévoile «l’art de la faucille de Ryûkyû».
Kama-jutsu du royaume de Ryûkyû
L’art de la faucille transmis dans le kobudô de Ryûkyû s’appelle “Kamanuti”. La technique consiste à frapper de taille et d’estoc les quatre membres. Art de combat transmis de Chine aux familles guerrières de Ryûkyû, conjointement au tûdî (karate), il a évolué jusqu’à atteindre son identité propre.
«Dans la famille des techniques de combat de Ryûkyû, celles qui utilisent des armes japonaises sont prononcés [-no té], alors que les techniques transmises depuis la Chine continentale sont prononcées en Fujiano-okinawaïen [-nu tî], ainsi [kuwa no té](houe), [kama no té] (faucilles), [kai no té] (rame) sont considérés comme Japonais. » nous explique Hayasaka Yoshifumi shihan.
Hayasaka-shihan a étudié sous la direction de Matayoshi Shinpô sensei, 16ème génération du style kingai-ryû qui lui a décerné un menkyo-kaiden (diplôme de transmission intégrale) en kingai-ryû tûdî (karate) et en Okinawa kobujutsu. Le maniement des kama utilise la technique corporelle du Shaolin du sud. Cette technique de combat chinoise introduite au royaume de Ryûkyû à sublimé l’art indigène sous le nom de « tûdî. »
La prospérité du Royaume de Ryûkyû date de 1429. A cette époque, et par manque de minerai de fer, Ryûkyû n’utilisaient que peu de ferronnerie, ainsi, faucilles et houes ne furent massivement introduites qu’après l’invasion de Satsuma au XVIIe siècle.
Au sein du clan Satsuma, les samurai étudiaient le Jigen-ryû kenjutsu ou Yakumaru-kenjutsu, le Yôshin-ryû jûjutsu, et le Ten-ryû bôjutsu et naginatajutsu. Ces arts de combat furent également étudiés par les guerriers (busâ) de Ryûkyû dans un établissement appelé Ryûkyûkan à Kagoshima, « capitale » du domaine de Satsuma. La légende dit que, pendant les assauts/échanges, les guerriers de Ryûkyû étaient plus forts que les guerriers Satsuma et que le fameux Matsumura Sôkon ne fut jamais vaincu par un des samurai de Satsuma.
Bien que Ryûkyû fût annexé au clan féodal Satsuma, il recevait des envoyés chinois (sappû) des dynasties Míng et Qīng et aux yeux de ces envoyés, il demeurait une nation commerçante indépendante. Il en va de même pour les arts de combat : création unique issue d’apports Chinois et Japonais.
Kama de la tradition familiale Matayoshi
La famille Matayoshi, famille d’hommes d’armes du royaume de Ryûkyû remonte au grand ancêtre Shinbu. Pour autant qu’elle est été héritière des arts de combat, la famille était versée dans le commerce avec la Chine des dynasties Míng et Qīng. Agena Naokata, homme d’armes du village de Gushikawa et ami de Matayoshi Shinchin, 14ème héritier de la tradition martiale de la famille, eu une grande influence sur le jeune Shinkô. Naokata naquit en 1859. Il fut en charge de la gestion des affaires criminelles de sa région, puis chargé de missions auprès du roi Shô Tai. Naokata était expert dans le maniement de la rame, des kama, du bô, et du nagagama. Sous sa direction, Matayoshi Shinkô approfondit sa pratique du bô, de eku, des kama et des sai. Toutes techniques qu’il légua à son fils Shinpô.
Le kamanutî de la famille Matayoshi comprend une grande variété de kama : nicchôgama (faucilles double), Ittôgama (faucille à hampe courte), nichô-suruchin (double faucilles avec corde), himotsuki-icchôgama (faucille simple avec corde), suruchingama (faucille à corde lestée), Nagagama (fauchard), Tsukigama (faucille en demi-lune), etc. et chacune d’entre elles possède sa propre théorie et technique. En Okinawaïen, le kama utilisé dans un contexte agricole, prend le nom de « irarâ » dans un contexte martial, on utilise le nom japonais de « kama ». Il est dit que dans des mains expertes, un porteur de kama peut affronter un sabreur, ce dernier aurait même bien des difficultés.
Hayasaka-shihan nous a montré le Ryûkyû kamanutî.
L’utilisation des principes du tûdî sublime kamanutî
Dés le début de l’apprentissage, on apprend à manier une paire de kama. Un kama dans chaque main, alternativement, kama droit et kama gauche servent en attaque ou en défense. Il en de même dans le kenjutsu quand on utilise deux sabres, cela nécessite une coordination physique précise. En kama nu tî, on utilise les principes corporels du tûdî, un kama attaque, l’autre pare.
L’angle entre la lame et la poignée de la faucille est de 90 degrés, mais soit en inclinant un kama, soit en combinant les deux armes, l’angle peut être changé à 30, 45 et 60 degrés, ce qui optimise les coupes de mains, pieds, cou et corps. Par exemple, sur une attaque, réceptionnez l’attaque avec le manche du kama gauche et attaquez le cou de l’adversaire avec le kama droit. Dans un autre cas, les deux kama, alignés à 180° parent le bô de l’adversaire, puis les deux lames cisaillent le bâton. Le kama gauche abaisse le bô, le kama droit, peut, par exemple piquer dans la région de la veine jugulaire.
Dans le cas d’une attaque à courte distance, le kama est tenu le long de l’avant-bras (gyaku-te), dans un mouvement de coup de coude, la lame contre-attaque le flan de l’adversaire. En contre, le kama gauche est saisi le long de l’avant-bras, pare l’attaque, puis après un léger décalage, suivi d’un pas, dans un mouvement de coup de coude, le kama droit s’enfonce dans le torse de l’attaquant. Les attaques et contre-attaques de coudes développent une extrême puissance, renforcées par la lame d’un kama, elles deviennent dévastatrices.
« Il est important de s’entraîner à alterner les saisies afin de pouvoir changer fluidement à tout moment. Changer la saisie pour attaquer et défendre à volonté c’est là, le nec plus ultra de Nichôgama. »
Countering, the left kama is seized in gyaku-te, adorns the attack, then after a slight shift, followed by a step…
« Trancher le filet » et Chinkuchi
Technique des guerriers de Ryûkyû pour se désentraver d’un filet. La légende rapporte que cette technique fut développée par les guerriers de Ryûkyû lors des batailles qui les opposaient aux samurai de Satsuma au moment de l’invasion du royaume. La technique consiste à insérer la lame des kama dans les mailles du filet et les fendre.
[S’échapper du filet]
Dans les assauts avec nichôgama, les kama parent et frappent assez rudement les attaques de bô ou de bokken, on pourrait alors penser qu’une certaine forme est nécessaire. Pourtant, en utilisant judicieusement les principes corporels du tûdî , gamaku et chinkuchi, les actions du corps ne demandent aucune force.
Dans la technique de tranche avec kama, on observe deux techniques : mawashi-giri et kake-giri (coupe « tournoyante » et coupe verticale.) Pour mawashi-giri, la faucille est tournée au-dessus de la tête, elle impacte la nuque, puis, le kama est tiré pour trancher, c’est à ce moment qu’est mis en action le chinkuchi, dans la rétractation du bras qui tient le kama. Cette rétractation linéaire tranche net la cible visée. Le kama n’étant pas mu par la seule force du bras, mais de tout le corps, utilisant chinkuchi. La coupe a, instantanément, une grande puissance. Dans le cas de la coupe ascendante, le kama tranche du bas vers l’avant et le haut. Dans cette technique également, lors de la coupe, le chinkuchi doit être mis en œuvre et le corps entier doit être utilisé pour trancher et tirer dans le même mouvement. La lame du kama poignarde au niveau bas, faites faire un pivot et tirer, causant à l’adversaire une blessure mortelle. La frappe du coude avec un kama est aussi une technique caractéristique. Saisissez le kamae en gyuaku-te (manche le long de l’avant-bras) après avoir frappé l’adversaire avec son extrémité, levez la main vers le haut comme pour frapper le coude, et la lame tranchera du bas vers le haut. En combat rapproché, en coupe ascendante, l’utilisation du chinkuchi est un plus, non négligeable.
« Si vous n’utilisez pas correctement le chinkuchi, votre corps ne tournera pas assez. Non seulement le potentiel du kama ne sera pas pleinement exploité, mais vous risquez de vous couper. Que la coupe soit de l’extérieur vers l’intérieur, de l’intérieur vers l’extérieur, de bas en haut, de haut en bas, vous devez entrainer votre dextérité à changer aisément de saisie.» Hayasaka-shihan insiste sur l’utilisation du corps par l’application des principes du tûdî.
[mawashi-kiri] Le kama tourne au-dessus de la tête, coupez en utilisant le chinkuchi
[kake-kiri] Comme pour un tsuki de karate, partant de l’aine ou du pectoral, frappez avec le dos de la lame, tournez et coupez.
[kiri-age] Le kama en gyaku-te mochi, frappez de son extrémité, relevez la main comme pour un coup de coude. A est un gros plan de la lame de faucille cachée dans le bras droit.
Kama d’arme : pierre et corde
Si nichôgama utilise deux faucilles, initialement destinées aux travaux agricoles, il existe d’autres kama : nagagama, kama à long manche et kama (simple ou double) à corde lestée ou non.
Himo-tsuki-nichôgama et himotsukigama sont des kama d’arme liées à des cordes. La corde, tressée de fibres d’une sorte de palmier(shuro) est huilée, celle-ci est enroulée autour de votre main. On dit que les fibres huilées de cette corde seraient suffisamment renforcées pour ne pas pouvoir être coupées par une lame. Lorsque vous pratiquez en saisissant le manche, la pratique ne change pas, en revanche, si vous laissez défiler la corde, la longueur permet d’atteindre un adversaire lointain. Il y existe aussi une technique où l’on fait tournoyer les kama à la façon d’un nunchaku. Dans cette technique, quand la corde s’enroule autours de votre corps, l’utilisation du gamaku alliée à un léger changement de position du corps, fait que la lame du kama ne frappe pas.
Pour que la corde ne se détache si la paume est ouverte, elle y est enroulée de manière spécifique. De plus, l’ouverture et fermeture de la main permet de modifier rapidement la longueur de la corde et l’adversaire ne peut apprécier la distance.
Surûchingama, relie une pierre à un kama au moyen de la corde huilée en fibres de shuro. Le surûchin est une arme primitive faite de pierres liées par une corde. Originellement, surûchin aurait été un outil de chasse. La technique consistait à faire tournoyer la corde lestée au-dessus de la tête, de lancer, les pierres entravaient les pattes de l’animal. Surûchingama ressemble beaucoup au kusarigama Japonais. La pierre peut être lancée de la main droite, la main gauche tranche le kama tenu dans la main gauche.
Si vous faites tournoyer la corde lestée de la main droite, laissez filer la corde qui finira par s’enrouler autour de la cible, puis trancher avec le kama. Grâce à une manipulation bien proportionnée de la corde, allongement ou raccourcissement, l’adversaire ne sera pas en mesure de déterminer s’il sera attaqué par la pierre ou le kama.
Les influences Japonaises sur le nagagama
Nagagama serait issue d’un outil agricole initialement prévu pour faucher l’herbe. L’exploitation à bon escient du long manche permet de grands mouvements circulaires, comme avec un naginata. Dans sa spécificité technique, le nagagama est manié près du corps, avec des mouvements ondulatoires du corps, les frappes et coupes sont vives et à distances courtes, c’est une arme efficace tant en attaque qu’en défense. Le kama de cette arme est plus large que nichôgama et à la base de son revers, on trouve une protubérance. Le rôle de cette protubérance est de crocheter l’arme de l’adversaire, de déstabiliser son porteur en le tirant, puis, après rotation de la main, couper avec la lame. La pratique du nagagama okinawaïen est très proche de celle du naginata japonais.
Ittôgama est une autre forme de kama, équipée d’un manche d’environ 1m30cm et d’une lame semblable au kama de base. Très semblable au nagamaki japonais, ittôgama est utilisé de la même manière. Dans la pratique, ittôgama est manié le long du corps, esquivez l’attaque et contre-attaquez vivement.
La fluidité du tûdî majore le maniement de ittôgama Dans la pratique, saisissez ittôgama à deux mains, interceptez l’attaque et esquivez sur la gauche, contre-attaquez. Le mouvement des coudes vers la gauche et la droite permet de lier la défense et l’attaque. Attaque et défense doivent être rapidement enchainées. L’approfondissement des techniques de coude du tûdî aide grandement aux techniques offensives et défensives de ittôgama.
Mikazuki-kama (chichigama en Okinawaïen) est un kama dont la lame à la forme d’un croissant de lune, on trouve la même arme dans les arts de combat chinois. A l’origine, cette outil aurait servi à élaguer les arbres. La lame de chichigama peut intercepter l’arme de l’adversaire, le déstabiliser, puis estoquer, coupant bras, jambe ou cou .L’influence de l’escrime japonaise à la lance ou l’épée longue est facile à voir.
Particularités
Outil agricole à l’origine, les influences chinoises et japonais, ont fait du irarâ okinawaïen, un kama d’arme à l’efficacité redoutable, s’il en est, à la hauteur des armes de ces deux puissantes contrées. De plus, combiné à la fluidité du tûdî, le kama a sa propre identité okinawaïenne.
Hayasaka Yoshifumi –
Né le 27 février 1958 dans la préfecture de Miyagi. En 1970, il entreprend l’étude du jûdô dont il est actuellement 5e dan. En 1972, il est initié au karate Seibukan Gôjû-ryû, en 1974 il est initié au karate Gôbukan Gôjû-ryû, et en 1976 il entreprend l’étude du Kanesô-ryû Jûjutsu dont il est menkyo-kaiden. En 1978, sous la direction de Matayoshi Shinpô sensei, il commence la pratique de l’Okinawa kobu-jutsu, du Kingai-ryû karate, qui comprend le Kyan-shôrin-ryû, le Higa-gôjû-ryû et le Shàolín pài hè quán (boxe de la grue de Shaolin) il en reçoit le menkyo-kaiden en 1997. Pendant ce même temps, Kina Seikô sensei lui décerne le titre de de kyôshi de Gôjû-ryû. En 2013, des mains de Saitô Satoshi sensei, il hérite du titre de sôke de la 7ème génération du Negishi-ryû shuriken-jutsu, 14ème génération du Shirai-ryû et de la 16ème génération et du Yamamoto-ryû de Iai-jutsu. Il est membre régulier de l’association japonaise de kobudô et directeur exécutif de l’Association japonaise de promotion du kobudô.
article associé: Les Trois Sanchin: Shuri Sanchin, Naha Sanchin, et Tsuru Sanchin