【L’Esprit des Ryukyu】Série 3 (HIDEN 07/2023)「Andy Sloane SENSEI」
Un dicton Français affirme que si l’on connaît l’histoire, on connaît la géographie… La géopolitique nous prouve que l’inverse existe aussi et que géographie et histoire forment un couple qui illustre bien la saga du Karaté.
L’immense brassage de troupes américaines qui caractérise Okinawa depuis 1945 à aujourd’hui, aura permis de faire découvrir le Karaté à des millions de personnes à travers le monde et ce, tout au long des 78 dernières années. Il n’est certainement pas faux d’avancer que “Si les Ricains n’étaient pas là…” Le Karaté n’aurait probablement jamais atteint autant de popularité. C’est encore un Américain, d’origine chinoise qui a sublimé le Karaté avec 4-5 films en devenant une légende du karaté, alors qu’il voulait démontrer l’efficacité du Kung-Fu…
Bien que l’occupation américaine intéressa tout le Japon de 1945 à 1952, c’est à Okinawa que les G.I. découvrirent le Karaté. Annexée comme territoire U.S. jusqu’en 1972, Okinawa semble encore conserver une double identité. Ceci explique le grand nombre d’experts ainsi que la popularité de son Karaté qui est solidement implanté outre-atlantique. Étant techniquement et philosophiquement différent du Karaté Japonais, ma surprise fut grande lorsque que je découvris les Dojo U.S.! N’ayant été exposé qu’à la version Japonaise, comme la plupart des Français de mon époque, j’avais découvert un Karaté “debout”, main ouverte et fluide comme du Kung-Fu, sans “Ossu” mais avec des “Do-Gi” de couleur et du Kobudo! A tort, je pensais à une américanisation du Karaté, alors que beaucoup de Dojo travaillaient dans la tradition. Toujours grâce à l’histoire, on comprend mieux aussi le fait que certains disciples Américains, ayant vécu à la source du Karaté, puissent avoir atteint des grades égaux (ou parfois supérieurs) à ceux de la descendance directe de leurs Maitres Okinawaïens. La réalité est que certains “Soke” ont des “Deshi” étrangers si fidèles que c’est à eux qu’ils préfèrent passer le flambeau! Tous les Sensei que j’ai interviewé souhaitent avant tout que leur art soit transmis par les bonnes personnes. Ils ne craignent pas la “mondialisation” du Karaté, car ils savent très bien qu’on ne pourra jamais oublier la source.
Après la guerre, la reconstruction d’Okinawa se fit lentement et avec l’aide et la sueur de l’occupant et de l’occupé. La nourriture était rare et les gens très pauvres. Ceci créa des liens. De jeunes loups venus d’ailleurs se retrouvèrent aux côtés de solides hommes mûrs aux muscles saillants et aux mains couvertes de cals effrayants. Malgré le barrage de la langue, une communication respectueuse s’établit. On raconte qu’un jour, un Maître entreprit de relever l’enseigne en bois de son Dojo qui avait miraculeusement survécu parmi les décombres. Au même moment, une Jeep avec 3 hommes à son bord s’arrêta pour lui demander ce que voulait dire ce panneau et lui donnèrent un coup de main. Le sous-officier fit un rapport et le Maître fut contacté plus tard. On lui proposa d’enseigner son art aux militaires. Comme beaucoup d’Okinawaïens, ce Maître était avant tout un cultivateur. Ses champs lui rapportaient moins de $20/mois et soudainement, 10 élèves étaient prêts à lui donner $10/mois, tout en continuant ses récoltes. Cette situation se répliqua et beaucoup de Maîtres de Karaté virent leurs vies changer totalement et pour le meilleur. Ils se virent donner de la nourriture pour leur famille et inviter sur les bases. L’ennemi devenait ami et la fraternité du Karaté prouvait qu’elle n’est pas un mythe.
L’enseignement du Karaté se mit peu à peu à devenir une activité lucrative. Parallèlement, beaucoup d’autres commerces et de professions profitèrent de cette situation économique inespérée. Okinawa sortait de sa pauvreté et se mettait donc à l’heure américaine…
La prolifération des Dojo a aussi ouvert la voie à la population locale qui ne pratiquait pas autant qu’on pourrait le croire. Le Baseball reste toujours le grand gagnant sportif de l’américanisation du Japon.
Si les Dojo d’Okinawa subsistent en grande partie grâce aux membres de la communauté d’outre-Atlantique, il faut noter qu’Okinawa s’ouvre aux Karatéka du monde entier. Les franchises ne cessent de se développer en Europe ainsi que vers d’autres continents.
Il est important de rappeler qu’il existe aussi des Dojo mythiques au sein même des bases militaires les plus secrètes et que les cours y sont assurés par d’excellents Sensei Américains. Ceux-ci sont particulièrement appréciés, car ils sont les disciples directes d’authentiques Hanshi octogénaires Américains. Des Marines formés par des légendes du Karaté et qui furent la 1ère génération de Karatéka non-Japonais chargés d’entraîner le personnel des armées dès les années 70. Andy Sloane Sensei, militaire de 43 ans, 7e Dan Isshin-Ryu, totalise déjà 30 ans de pratique et plus de 15 ans d’enseignement sur base. Bien qu’il s’entraîne parallèlement dans le civil avec des Maîtres locaux, il reste encore le fidèle disciple de son Maître Ed Johnson, 82 ans 10e Dan. Andy, qui représente donc cette 2e génération de “Top-Gaijin”, va nous permettre de pénétrer sur la plus grande base américaine de l’Asie du Sud-Est. Il s’agit de la fameuse Air Force Base de Kadena, qui se situe à 634 km des côtes chinoises. Sa taille est 1,3 fois celle de l’aéroport de Tokyo Haneda.
Après avoir passé les contrôles de sécurité qui ont pris plus de 30 minutes, nous nous retrouvons à conduire librement sur des routes impeccables entre talus engazonnés, habitations bien rangées, restaurants, shopping centers, post-office, banques, etc… C’est l’Amérique! Je colle au Van d’Andy qui file sans se soucier du paysage. Tout à coup, il nous indique un endroit où nous devons laisser notre voiture, car nous allons passer dans une “restricted zone”. Nous grimpons dans son Van et si je n’étais pas un habitué de ces procédures militaires, je m’attendrais à ce que l’on nous colle un sac sur la tête! Andy Sensei nous conduit en pèlerinage sur l’endroit précis où fut signé l’armistice du 7 Septembre 1945 pour Okinawa. Ce monument, baptisé the “Peace Garden”, se trouve au fond d’une zone apparemment résidentielle, mais inaccessible au public. Nous partons ensuite vers un petit trésor situé à l’orée d’un bosquet et qui se trouve être la toute première “Quonset Hut” construite en 1946. Ces sortes de hangars aux formes rondes, servirent à tout dans leur longue carrière (maisons, bureaux, hôpitaux, salles de gym et possiblement Dojo…)
Nous finissons par atteindre le très beau Dojo où Andy a un cours dans l’après-midi. C’est ce cours mixte enfants et adultes, que nous sommes autorisés à filmer. Tom Cruise et ses “Top Guns” sont encore au travail et on les entend voler au-dessus de nos têtes…
Biographie de Maître Andy Sloane
7e Dan Isshin-Ryu, 2e Dan Taekwondo.
Historien spécialiste du Karate d’Okinawa et Ambassadeur du Karaté Isshin-ryu.
Carrière militaire à la U.S. Navy. Né en Louisiane, USA, en 1979.
Commence par le Judo à 12 ans de 1991 à 1993 et enchaîne avec le Karaté Isshin-Ryu à 14 ans avec Harvey L. Kennedy.
En 2000 rencontre son nouveau Maître, Ed Johnson Hanshi, qui est un disciple de 1ère génération; ayant étudié directement avec Shimabuku, le fondateur du Isshin-Ryu.
Andy est toujours resté en contact étroit avec ses Maîtres et ce malgré qu’il enseigne le Karaté sur les bases militaires à travers le monde depuis plus de 15 ans.
-1) -Andy, pourquoi êtes-vous venu au Karaté?
Mon premier souvenir remonte aux années 80. J’étais tout gamin et je regardais à la TV Chuck Norris, les Tortues Ninja et bien sur la trilogie du “Karaté Kid”. J’étais aussi fasciné par J.C. Van Damme, Steven Seagal et Brandon Lee. J’ai eu la chance d’étudier le Judo à l’école de 1991 à 1993. En 1993, j’ai gagné un abonnement de 2 semaines à un Club de Karaté près de chez moi. J’ai été immédiatement “accro” et j’ai su que je ferai du Karaté jusqu’à la fin de mes jours.
-2) -Quelle est la caractéristique de votre style?
Mon style de base est le Isshin-Ryu. Son créateur, Shimabuku Tatsuo (1908-1975), fut élève de Kyan Chotoku, mais s’entraîna aussi brièvement avec Motobu Choki et Miyagi Chojun. Un beau mélange de Shuri/Tomari/Naha-Té! Shimabuku Sensei sélectionnât ce qu’il considérait de mieux venant du Goju-Ryu et du Shorin-Ryu et y inclut sa propre idée originale pour les frappes et les blocages qui font la caractéristique du style. A savoir:
A) L’usage exclusif du poing à la verticale (Tate-Ken) avec le pouce replié sur le dessus. B) Un léger recul du poing après la frappe au lieu d’un “gel” en finale. C) Bloquer avec les muscles de l’avant-bras au lieu des os. D) Position de base utilisant le Sanchin-Dachi du Goju-Ryu plutôt que le Zenkutsu-Dachi du Shorin-Ryu.
-3) -Quel est votre Waza et Kata préférés?
Mon Kata préféré est Kusanku. Il est considéré par beaucoup du Shorin-Ryu comme étant le Kata le plus avancé. Il est long, compliqué et “crève-bonhomme”… Quant à ma technique favorite, je dirais le mawashi geri pour le Kumite, due à ma taille et ma souplesse.
-4) -Quelle est le souvenir qui vous marque le plus de votre Sensei?
Sa condition physique! A 59 ans, après avoir servi chez les Marines, il travaillait comme maçon sur des chantiers très durs. Après de longues heures, il donnait ses cours le soir. Il était increvable!
-5) -Quelle est la différence entre le Karaté d’Okinawa et celui du Japon?
Il y a 1 siècle, les Japonais ont adopté le Karaté d’Okinawa qui a été transformé en un sport et est devenu “Gendai” (moderne) Budo. La recherche se tourna vers la prouesse physique, la beauté des postures ainsi que la démonstration des capacités en compétition. Le Karaté d’Okinawa n’a jamais été orienté vers tout cela! Son but est de s’entraîner pour se défendre dans la vraie vie. Les Okinawaiens s’entraînent pour devenir fort, mais aussi pour la perfection d’eux-même par le dur travail. Ils n’utilisent pas le Karaté pour dominer les autres.
Beaucoup d’Occidentaux, même parmi ceux qui connaissent le Karaté d’Okinawa, finissent par rejoindre l’esprit sportif du Karaté Japonais. La croyance générale est que l’on doit être un grand combattant pour être un Karatéka de valeur… La vérité est que le Karatéka moyen n’a pas comme désire réel de devenir un champion de la baston, ni même un compétiteur! Le niveau d’un Karatéka a peu à voir avec ses résultats en compétition. Le Karaté Japonais semble être plutôt fait pour démontrer un niveau physique. Celui d’Okinawa a une visée plus personnelle; axée sur la self-défense, le conditionnement et la maîtrise par l’entraînement. Chez nous les professionnels de la guerre, on sait que les “Rambo” n’existent qu’au cinéma et que notre job est aussi d’assurer la paix!
-6) -Enseignez-vous aux étrangers?
Enseignant principalement sur les bases militaires, mes élèves sont tous Américains. Comme vous le savez, nous sommes tous issus d’étrangers. Je suis moi-même Français de Louisiane par ma mère!
-7) -Que pensez-vous de la popularité mondiale du Karaté d’aujourd’hui?
Je pense que sa popularité est une bonne chose. Je souhaiterais juste que les pratiquants prennent connaissance de ce qu’est le Karaté à sa source et comment nous le pratiquons dans sa forme originelle.
-8) -Que pensez-vous du Karaté en tant que sport de compétition, prétendant même à devenir un sport olympique?
La compétition peut être un outil pour juger de sa valeur en se mesurant aux autres, mais comme déjà dit, beaucoup focalisent sur l’aspect sportif et ne voient que par la compétition. Les Karatéka devraient être formés à tous les aspects de leur art. Le Karaté pratiqué en tant que sport se fait au détriment de sa noble réalité.
-9) -Que signifie s’engager dans la voie du Karaté de nos jours?
Choisir de pratiquer le Karaté de nos jours est une chose très importante. Nous constatons avec tristesse que notre monde devient de plus en plus dangereux et il est important que jeunes, vieux, femmes et hommes apprennent à se protéger. Partager un art ancien ensemble est aussi une expérience formidable.
-10) -Quelle vision avez-vous du futur du Karaté?
Dans son essence, la voie du Karaté symbolise “endurer”. Il va continuer à endurer, bien que je vois les choses se précipiter vers un aspect toujours plus sportif. La relève ne semble pas concernée par sa responsabilité de préserver l’art. Soit les jeunes n’en voient pas l’intérêt, soit le Karaté leur a été mal transmis. Dans les 2 cas, ils ne font pas du Karaté…
-11) -Avez-vous un message à adresser au monde?
Soyons plus gentil, honnête et respectueux envers les autres…
Le monde deviendra plus agréable à vivre. Faisons de notre mieux chaque jour afin d’être une lumière et un exemple pour motiver notre entourage.
-12) -Que signifie “karaté” pour vous? Comment le définissez-vous?
Je le défini comme étant l’union d’une technique efficace de défense, servant de véhicule pour la perfection de soi-même, ce tout constituant un art. Le Karaté me semble être l’art martial le plus efficace de tous. Il nourrit l’esprit, construit un corps solide et apporte confiance en soi.
Daniel Mardon; le Karateka-Thérapeute
Créateur de la méthode Aromapressure® et physiothérapeute également licencié aux U.S.A.; Daniel Mardon est né à Paris. Une de ses spécialités est l’enseignement et le traitement des lymphoedèmes ainsi que des dommages tissulaires et circulatoires consécutifs aux chirurgies et traitements par radiothérapie. Sa méthode est utilisée en collaboration avec des Instituts médicaux ainsi que des associations, pour des traitements pré et post-chirurgicaux. Il fut également physiothérapeute pour deux équipes de football à Paris. Dès 2005, il fut le producteur de Spas pour de grands hôtels Japonais, tout en œuvrant pour l’enseignement et l’éveil à un plus haut niveau sur les professions de santé. Auteur de plusieurs livres, une de ses publications majeures est “Physiothérapie et physiologie du travail du corps” (Editions BAB Japan), ainsi que des DVD comme “Daniel Mardon Aromapressure® Method ” (Pony Canyon). Daniel Mardon apparaît régulièrement dans des émissions de TV, radio ainsi que de nombreuses publications dans les médias.