Interview et texte de Satoshi Taito , traduction de Lionel Lebigot
*Dans le texte suivant,
« Ryûkyû-buyô » désigne « la danse de Ryûkyû » « tûdî » désigne le karate « classique », le texte original en Japonais utilise les caractères de « main des Tang. » Les mots en italiques sont en Japonais dans le texte. Exception faite pour les noms propres ou géographique.
La relation intrinsèque entre le tûdî et le Ryûkyû-buyô a été expliquée par de nombreux experts du tûdî. Les mouvements communs ont été transmis de génération en génération et sont devenus la pierre angulaire de la culture des arts du spectacle d’Okinawa. Dans cette interview, nous avons parlé avec Taeko Ebata, professeur de Ryûkyû-buyô et pratiquante de kingai-ryû tûdî et de Matayoshi-kobujutsu, à propos du « gamaku », mystère de la dynamique des arts martiaux et de la danse.
Lien entre le « tî » classique de Ryûkyû et le Ryûkyû-buyô
Asato Ankô sensei et son disciple Funakoshi Gichin affirmaient que les racines du tûdî se trouvaient dans les danses (mêkata) de Ryûkyû. De l’alliance du tî autochtone et du Quánfǎ (kenpô) originaire de Chine, est né le tûdî (qui a donné le karate actuel.) Il existe diverses théories parmi les pratiquants et les chercheurs sur l’origine du tî, origine du karate, mais dans « Okinawa no Bugi » publication de Itosu Ankô et Funakoshi Gichin (1914), il est mentionné que « l’art martial propre à Okinawa et les danses (mêkata) étaient déjà pratiqués, à l’époque où le tûdî n’était pas encore développé sous sa forme actuelle. »
Mêkata est l’une des danses du royaume de Ryûkyû, qui se danse librement au rythme de la musique, les mouvements de cette danse ont de nombreux points communs avec le tûdî.
Dans l’article qui suit, Ebata Taeko va nous instruire sur l’histoire de le Ryûkyû-buyô et ses techniques corporelles particulières .Au moment de l’interview, Hayasaka Yoshifumi, shihan du kingai-ryû tûdî-Okinawa kobujutsu, était également présent et a parlé en profondeur des similitudes des principes corporels transmis dans la danse et les arts de combat de Ryûkyû.
Development and transmission of court dance to the people
« J’ai commencé à apprendre le Ryûkyû-buyô quand j’étais à l’école primaire. Puis, à travers le karate-buyô (mélange de karate et de danse), j’ai eu un intérêt pour le tûdî de Ryûkyû, que j’ai entrepris pour de bon, il y a environ 19 ans. Je pense que le karate m’a permis d’approfondir le sens des mouvements du Ryûkyû-buyô. Je pratique également le taiko (tambour d’Okinawa) et le sanshin (guitare/banjo/luth.) Le taiko a aussi quelque chose en commun avec le karate. Quand j’y pense, tous les arts qui ont été transmis à Ryûkyû, la danse, le taiko, le sanshin et le koto ont quelque chose en commun avec la karate. »
Ainsi Ebata-sensei explique t’elle la relation entre la danse et le tûdî.
« En raison de son large éventail de contenus, il est difficile d’expliquer le Ryûkyû-buyô en quelques mots. A l’époque du royaume de Ryûkyû, il fut créé un odori-bugyô, « magistrature de la danse » qui régissait l’exécution des danses de cour données lors des cérémonies d’État. »
« La danse destinée à accueillir les envoyés Chinois pour les cérémonies d’intronisation, recevaient le nom de « Ukanshi’udui. » Parmi les danses de cour classiques, on trouve la danse du vieil homme, la danse féminine, la danse des jeunes (Wakashu), la danse de deux ans (Nisei) et danse de groupe (Kumi Odori.) Les danses de cour classiques étaient toutes performées par des danseurs masculins, y compris les danses féminines.
Les femmes n’ont pu participer aux danses qu’après le « Ryûkyû-shobun » (NdT , ce qui pourrait se traduire par « démantèlement de Ryûkyû ») de l’ère Meiji (1868-1912), où le royaume de Ryûkyû fut intégré au système préfectoral du nouvel état du Japon. A cette époque, les danseurs de cour ont perdu leur emploi et ont commencé à jouer des pièces de théâtre dans la ville de Naha. On parle alors de “danses diverses”, par opposition aux danses de cour. De l’apparition des danseuses, les chorégraphies se firent plus fluides, plus douces. Après la guerre, diverses danses modernes, basées sur des danses classiques sont apparues. »
Ainsi Ebata-sensei explique t-elle les origines du Ryûkyû-buyô, de la danse de cour à la danse diverse et à la danse créative.
Gamaku en danse classique
La prestation de Ryûkyû-buyô par Ebata-sensei montre bien sa différence d’avec la danse japonaise. Doigts souples, taille légèrement pliée, le corps change de direction par ces mouvements spécifiques. Gamaku-ire (mettre du gamaku) est une spécificité de Ryûkyû-buyô.
Lorsqu’un sensei enseigne, on l’entend souvent dire « gamaku-ire/mets du gamaku ici. » Gamaku fait généralement référence à la partie molle entre le bassin et les côtes. Expirez légèrement tout en gardant de l’énergie dans le gamaku droit ou gauche. Avec gamaku, la zone hanche/taille et la posture du haut du corps taille se connectent, et le corps bouge avec souplesse, laissant s’exprimer la spécificité physique de Ryûkyû-buyô.
« L’attention mise dans le gamaku, les chevilles, les genoux, les hanches, les épaules est très importante. Lorsque vous marchez, ne vous contentez pas de bouger vos pieds, mais marchez avec gamaku, mettez le dans vos pas, votre démarche deviendra souple. Par exemple, dans le pivot vers la gauche de la danse classique « onna’odori », mettez votre pied droit en avant, tournez votre cheville droite vers la gauche, quand vous vous tournez, vous allez naturellement utiliser gamaku, le pivot se fera en toute souplesse et fluidité. Si vous n’utilisez que vos pieds pour changer la direction, le mouvement devient complètement différent. Ce n’est donc pas le mouvement de la danse Ryûkyû. »
Danse Zôdori « Hamachidori »
« Hamachidori » est l’une des danses les plus représentatives parmi les danses diverses créées après l’abolition du royaume. Dans cette danse, qui contient de nombreux éléments de la danse féminine classique, on peut voir de nombreux mouvements de pieds utilisant le gamaku. ❶~❸En insérant le gamaku à gauche, le haut du corps est stabilisé tandis que la direction est changée de manière souple. ❹~❻Dans la fluidité de Ryûkyû-buyô, les pas, incluant gamaku, exprime la spécificité de cette technique.
Joignant le geste aux explications, Ebata-sensei exécute des pivots avec et sans mettre de gamaku, effectivement, la différence se remarque immédiatement.
En général, on pense que gamaku se concentre dans la zone entre le bassin et les côtes, mais le gamaku enseigné par le ryû d’Ebata-sensei implique diverses parties du corps, comme les genoux, les hanches et le bas du dos. Ainsi, dans les pas, le gamaku postérieur, mobilise la zone allant des hanches au bas du dos.
Des recherches ont montrées que, suivant les sensei, leur filiations, la conscience de placer le gamaku, est différente. Certains se focalisent sur la zone de l’articulation de la hanche et d’autres, sur la zone qui englobe la taille et les hanches. Cela est peut-être dû au sexe des danseurs ou à l’évolution des temps. Jusqu’à la guerre, les danseurs masculins portaient leur conscience sur la zone autour de l’articulation de la hanche pour exprimer leur féminité, tandis que les danseuses sont apparues après la guerre et ont commencé à exprimer la douceur féminine par des mouvements autour de la taille.
Compte tenu de cela, il semble que le gamaku d’Ebata-sensei transmette fidèlement la technique classique de gamaku.
« Dans la section Ufunshari de la danse de Takahira Ryôsai, vous devez coordonner la respiration. Quand vous dansez souplement, de petites inspirations raidissent votre corps. Il est donc important d’inspirer longuement, et de placer gamaku pour pivoter les hanches dans un mouvement souple.
Expirer, faites pivoter vos hanches, en prenant une longue inspiration pendant les pas. Ryûkyû-buyô nécessite une respiration longue et profonde. Tout ceci est lié au muchimi et représente le Ryûkyû-buyô. C’est un petit mouvement, mais c’est étonnamment profond. »
Gamaku de taille/gamaku de genou
Depuis une position de face, pliez votre genou droit et en vous tournant vers la gauche, focalisez à placez le gamaku à gauche, avec comme image de replier les côtes sur le bassin.
Gamaku postérieur
Mise en œuvre de gamaku dans la zone allant de la fesse, à la taille, dans une posture sur une seule jambe.
Les secrets communs de la danse et des arts de combat
Dans le Ryûkyû-buyô, l’utilisation de gamaku est indispensable pour exprimer sa spécificité. Et dans les arts martiaux de Ryûkyû, c’est une technique essentielle pour créer la puissance du tûdî, sa fluidité et la précision de ses techniques.
« Depuis que j’ai commencé à pratiquer le tûdî, je sens qu’il a quelque chose en commun avec les mouvements de la danse masculine. Les mouvements de la danse des hommes viennent probablement du tûdî. De plus, dans les scènes de victoire sur l’ennemi dans les danses de combat, il semble y avoir quelque chose en commun avec la dynamique du tûdî. En étudiant le tûdî, je pense que j’ai pu approfondir les mouvements de Ryûkyû-buyô. »
NISAI NU UDUI « Mae no hama »
Parmi les danses classiques masculines interprétées par de jeunes hommes, surtout celle nommée « Mae no hama », de nombreux mouvements, incorporant gamaku et chinkuchi, rappellent ceux du tûdî
Dans le tûdî, l’utilisation de gamaku et chinkuchi sont toujours essentiels. La mise en œuvre de gamaku mobilise le bassin sur une petite distance, mais de façon très puissante, cette puissance est transférée vers le haut du corps pour atteindre les bras et les mains, s’ajoutant au chinkuchi. Il en résulte une forte puissance en défense ou en attaque. Chinkuchi, c’est, littéralement « la puissance sur un sun (~3cm) », cette technique émet une grande puissance en un petit mouvement.
Dans les arts de combat de Ryûkyû (tûdî et kobujutsu), la mise en œuvre de gamaku crée puissance, agilité et précision dans les techniques.
« Lors d’un gedan-uke, gamaku allié au mouvement de bassin accroît sa vivacité, sa rapidité et sa lourdeur à l’impact »
démontre Hayasaka shihan, tout en joignant le geste à la parole.
De même, muchimi, technique importante pour exprimer un mouvement souple dans le Ryûkyû-buyô, est utilisé pour koken et shôhô (technique de déviation et enveloppement d’une attaque) en tûdî. Même en utilisant les techniques « palmaires », gamaku, généré dans la zone du bassin peut être pleinement transmis aux membres supérieurs et annihiler un puissant tsuki.
Mouvements de mains/poignets et uke-waza/torite
❶~❸Les techniques de mains et poignets, telles que rotations et pressions, du Ryûkyû-buyô contiennent la puissance générée par gamaku, chinkuchi et muchimi, également communes aux techniques des arts de combat.
❹ Gedan-uke associant gamaku par Hayasaka-shihan. ❺ ❻ Parade souple avec la paume et frappe vive avec koken.
Dans le tûdî, Gamaku, es tune technique importante et dissimulée pour la génération de la puissance dans les techniques, tant offensives que défensives. Alors qu’il était caché dans le tûdî, art de combat, il était une technique indispensable dans le Ryûkyû-buyô.
Ebata Taeko
Professeur de Tamagusuku-ryû Shichisen-fumi no Kai
Professeur de Okinawa Dentô Kenryû Taiko Dan no Kai (tambour et sanshin)
3ème dan de Kingai-ryû tûdî et Matayoshi Kôdôkan kobujutsu
Ebata Taeko a commencé le Ryûkyû-buyô en 1961 et s’est tournée vers le tûdî et le kobujutsu de Ryûkyû après avoir assistée à une démonstration de ces arts traditionnels en 2003, ce qui l’a conduite au Matayoshi tûdî Kingai-ryû/kobujutsu Kôdôkan. Actuellement, elle dirige le Taeko Ebata-dôjô à Okinawa (quartier de Kume, Naha) et à Tôkyô (ville de Chôfu), où elle enseigne le Tamaki-ryû Nanafanbun-no-kai Ryûkyû-buyô , le Okinawa Kenryû Taiko Dan-no-kai, le kobujutsu et le sanshin (Institut Teigen-kai Yasuo Yoshida Minyo de deuxième génération).
http://taekosite.wp.xdomain.jp/
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